Bareilly to Bardia – l’enfant

L’enfant me regardait en recrachant ses coques d’arachide par terre. L’air hautain de l’enfant roi, seul sur son siège, couvé des yeux par sa mère. Sur la banquette adjacente, la mienne, on a commencé à trois, facile. Puis une grosse mamie est venue s’installer. Puis un gars qui m’a quasi repoussé dans l’allée d’un coup de fesse sec et efficace.

Durant ce temps, l’enfant, se pavanait en crachant ses coques. Chemise à carreaux, cheveux gominé, un vrai winner du haut de ses 10 ans. Et soudain, surgissant de nulle part, non pas un aigle noir, mais une mama qui s’assied quasiment sur lui. Elle est elle-même équipée d’un rejeton qu’elle compte bien allaiter en faisant fi du petit winner qui est désormais écrasé entre son dos et les barreaux qui font office de vitre dans les trains indiens. J’ai bon.

En Inde, il n’y a pas de notion d’espace personnel, pas de politesse ni de fioritures. Que des espaces qui attendent d’être remplis.

Tellement préoccupé par les mésaventures de ce gosse, je ne me suis pas rendu compte que le train, au lieu de me rapprocher de la frontière, me ramenait à Bareilly. J’avais pourtant bien demandé à un local si le train se dirigeait vers Banbasa. J’ai du mal interpréter le foutu hochement de tête qu’il m’a répondu. Ou il n’a pas compris la question, ce qui est également fort probable dans ces trains où l’anglais est une denrée presque aussi rare que l’espace personnel.

Dans tous les cas, je réalise que je viens de me taper 2h dans un wagon surchauffé pour rien. Et je vais devoir me retaper le même circuit en sens inverse pour revenir à mon point de départ. J’ai donc littéralement sauté du train en marche (un des avantages de rouler les portes ouvertes) à la station suivante.
Il est 12h, le soleil tape fort. En remontant dans le bon train (je m’en suis assuré auprès de trois personnes différentes cette fois), je dégote – ô joie – un siège provisoirement libre. Inspiration, expiration, je me détache de mon corps cuit et compacté et me prépare mentalement aux 4h qui me seront nécessaires pour atteindre Bareilly (2h pour revenir à Pilibhit et 2h pour atteindre enfin Banbasa).

Passé les check-points frontaliers, marcher encore quelques kilomètres, plombé par le soleil et mon paquetage. Rejoindre la station de bus en tuk-tuk. Et prendre le bus. Sur la route cabossée qui mène jusqu’au Bardia National Park. Durant 3h.

On ne parle pas ici des nids de poules de la E411, mais d’une route tuméfiée qui vous précipite constamment dans les 3 dimensions, sur des sièges déboulonnés et poussiéreux. Heureusement une musique locale, relativement apaisante pour une fois, accompagne le tout tandis que mon voisin de droite psalmodie et chante, ce qui doit être le tube du moment. J’essaie de décrisper ma nuque, de ne pas résister, poupée de chiffon ballottée par un enfant sadique.

Enfin, Ambasa, un peu de répit… avant une dernière volée de tôle ondulée en tuk-tuk. Enfin, Baba et Krishna m’accueillent tout sourire dans leur resort au milieu de la jungle. Un vrai lit, une moustiquaire, des draps propre, c’est le paradis. Je ne me réveillerai que 12h plus tard.