Bardia – Helium sunset
Damian avait roulé un joint avec la weed récoltée en bord de route, celle qui pousse littéralement comme une mauvaise herbe et qui contient très peu de THC. J’avais donc tiré deux-trois lattes, histoire de tester le produit local. Léger et agréable, mais effectivement pas de quoi s’envoler.
Je l’avais croisé la veille avec sa copine Carol, et on s’était recroisé aujourd’hui sur la route qui mène au Sunset View, un mirador qui donne sur la jungle.
Et nous voilà donc en train d’admirer ensemble ce coucher de soleil digne du « Roi Lion », Carol préparant le café, Damian roulant ses deux feuilles. Il me tapote sur l’épaule et me repasse le joint. La première tournée était inoffensive, j’en aspire une grosse bouffée cette fois.
– Hey bro, how do you like this one ?
– Still good, but still light, right ?
Il me sourit. « Not this one bro, it comes straight from Pokhara ».
Quelques minutes plus tard, je réalise que cette fois il s’agit bien de pollen sélectionné avec amour pour défoncer les petits backpackers innocents (comme moi). Alors que les derniers rayons de soleil s’éteignent, je suis déjà complètement stone. Je laisse Damian et Carol à leurs occupations et je descend l’échelle en me concentrant très fort.
La deuxième prise de conscience, c’est que je n’ai plus aucune idée du chemin du retour, on papotait et je n’ai pas du tout repéré les lieux. En théorie, c’est simple, il n’y a qu’un seul chemin, avec d’un côté le village et de l’autre côté la jungle. En pratique, il fait un noir d’encre, je suis fracassé et je n’ai pas mes lunettes. Autant dire que le retour a pris un certain temps.
Alors que j’essayais de me repérer dans la pénombre, le gars du « Sunset View Bar » m’apostrophe. Il me cause népalais ? Ah non, anglais en fait. Focus. Je me concentre à mort pour lui répondre en anglais sans avoir l’air stone (un petit sursaut de paranoia, même si on est au milieu de la jungle, la consommation de cannabis est relativement illégale au Népal… enfin c’est vraiment très relatif comme je pourrai le constater par la suite). Et tout d’un coup j’aperçois la petite blonde qui était tapie derrière lui. Elle était sans doute là depuis le début mais je ne l’avais pas remarquée. Elle m’explique qu’elle campe dans le jardin du barman. OK.
Je reprends la route, dans ce qui me parait être la bonne direction. Après ce qui me semble des heures au milieu des grenouilles et des moustiques, j’entrevois une boutique qui, bonheur, est encore ouverte. J’y entre dans l’idée de demander mon chemin mais quand j’aperçois ces guirlande de chips et de biscuits, c’est le petit creux post-fumette typique qui prend le dessus. Le vendeur m’a grillé, sans doute parce que je suis resté fasciné par ces sachets, durant ce qui m’a semblé quelques instant mais qui était probablement quelques minutes. Il me demande si je veux goûter un de ces délicieux chips au masala, je saute sur l’occasion. Je ressort un peu plus tard, avec deux sacs remplis de snacks. Merde, je ne sais plus si je venais de la gauche ou de la droite. Je retourne demander mon chemin au vendeur, c’était le plan à la base.
De retour sur la route, j’entends une mélopée, un bourdonnement, oui ça ressemble à un chant lointain… et je manque de me faire écraser par un tuk-tuk électrique. Ça a beau être écologique, ces machines sont un fléau. Et puis j’aperçois des lumières, de petits guirlandes clignotantes au dessus de la rivière, ça fait Pssst ! Crac ! Wizz ! Et putain ça clignote, ça scintille et ça file dans tous les sens mais je n’arrive pas à savoir si ce que je vois est réel ou si mon cerveau fait des bulles (j’en aurai la confirmation le lendemain mais oui, les vers luisants sont monnaie courante à Bardia).
Je continue ma route tant bien que mal, jusqu’à revenir à la civilisation, une flopée de resorts, dont le mien, probablement, mais lequel. Bardia Jungle Wildlife, Bardia Tiger Wildlife, Tiger Resort Lodge, Jungle Adventure Resort… Ils se ressemblent tous, avec leurs noms à rallonge ! Je rentre dans ce qui pourrait être le mien, mais impossible de retrouver ma chambre. Il y a des gens dehors qui m’observent, alors je fais mine de me promener. Mais en réalité, je ne retrouve absolument pas ce putain de bungalow et je finis par faire demi-tour.
Et que voilà ? Un restaurant ? Je rentre et je tombe sur un buffet somptueux de riz, de chapatis, de dhal, de poulet curry… La salle au trésor ! J’hallucine clairement, c’est la faim qui fait ça, ça ne ressemble pas au resto habituel, en plus je ne reconnais personne dans ce bordel. Tant pis, la faim prend le dessus, je m’incruste dans la file de mecs qui viennent manger. J’ai encore mes sacs de courses à la main, je les balance dans un coin et j’attaque le buffet sans trop savoir dans quoi je m’aventure. Alors que je cherche à m’asseoir avec mon assiette remplie de bouffe, un gars m’invite à sa table. En m’asseyant j’ai le déclic – la drogue commence à se dissiper : une bande de 20 motards indiens a débarqué au resort ce matin, et du coup l’équipe a mis les petits plats dans les grands en réorganisant le restaurant en mode buffet. Oui, hourra, je suis arrivé à bon port !
Je taille donc une bavette avec mon interlocuteur, qui n’est autre que le leader de la bande. A propos de bavette, c’est à prendre au sens propre, je bave et je pleure à cause des piments, c’est lamentable. Je mets ça sur le compte d’une faiblesse toute occidentale, il me regarde d’un air vaguement compréhensif, ça passe. L’interrogatoire lambda se poursuivra avec trois autres motards (« vhat-your-name ? », durée, motif du séjour, origine, destination, etc)… Lessivé, je prends congé et je retrouve ENFIN ma chambre. Je jette un œil à l’horloge. Il est 20h. J’ouvre un paquet de biscuit.